Un nouveau regard sur les variations de l’ADN permet d’expliquer une maladie rare
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Le monde célèbre le samedi 29 février 2020 la journée mondiale de maladie rare et le Papyrus vous propose un article publié le site de la Fondation Roi Baudouin.
Pourquoi
suis-je malade ? Pour celui ou celle qui souffre d’une maladie rare, la réponse
à cette question se fait souvent attendre ou ne vient même jamais. Mais
parfois, des chercheurs y parviennent. C’est ainsi que, grâce à des recherches
financées par le Fonds pour la recherche sur la schwannomatose, géré par la
Fondation Roi Baudouin, l’équipe du Prof. Dr. Eric Legius a trouvé une nouvelle
explication à cette pathologie. Une bonne nouvelle, pas seulement pour les
personnes porteuses de la schwannomatose, mais aussi pour la recherche sur les
causes génétiques des maladies rares en général.
Quand un chercheur trouve l’explication génétique d’une maladie rare, c’est le
moment de sabrer le champagne, non ? “J’ai surtout poussé un juron !”, se
rappelle, en riant, le Prof. Dr. Eric Legius : “De ne pas l’avoir vue plus tôt
! Nous sommes si souvent passés à côté !”
Le généticien Eric Legius est chef de service au Centre d’Hérédité humaine de
l’UZ Leuven et est spécialiste des maladies rares que sont la neurofibromatose
et la schwannomatose – il existe même une variante de la neurofibromatose
appelée ‘syndrome de Legius’ – “mais ce n’est pas moi qui lui ai donné ce nom,
vous savez !”, dit-il. Le docteur parle la langue des gènes, des chromosomes et
des maladies comme si c’était sa deuxième langue maternelle, mais il a
heureusement aussi été formé pour expliquer clairement les fondements de la
génétique à des personnes pour qui ce jargon est du chinois, comme les patients
et leurs proches.
Comme une crêpe enroulée
Commençons par le commencement, avec les cellules de Schwann, qui portent le
nom de celui qui les a découvertes, Theodore Schwann. Ces cellules forment une
couche d’isolation – “comme une crêpe enroulée” – autour des voies neuronales
et des fibres nerveuses, les axones. Si elles se développent de manière
anormale et provoquent des tumeurs, on parle alors de schwannomes et d’une
maladie, la schwannomatose. Il s’agit cependant de tumeurs bénignes, dont la
croissance s’arrête au bout d’un moment et qui ne se disséminent pas dans les
tissus environnants. Mais elles ne sont pas toujours inoffensives, selon le
corps dans lequel elles se trouvent. Un patient peut ne pas en souffrir, alors
qu’un autre a des douleurs sévères. “Dans ce cas, on peut essayer d’extraire le
schwannome par une intervention chirurgicale. Mais avec le risque d’endommager
le nerf, ce qui peut perturber les sensations ou même entraîner une paralysie”,
explique Eric Legius.
Il arrive parfois qu’un seul schwannome se développe chez un patient sans
prédisposition génétique, mais dès qu’il y en a plusieurs dans le corps, c’est
le signe que la schwannomatose peut résulter d’une anomalie dans le matériel
génétique. “Quand l’un des deux parents est porteur, il y a une chance sur deux
pour qu’il la transmette à son enfant, que ce soit un garçon ou une fille.” On
estime qu’un nouveau-né sur 70.000 sera un jour atteint de schwannomatose –
soit environ 150 Belges souffrant de la maladie. “Mais c’est sans doute une
sous-estimation”, poursuit Eric Legius. “Rien que dans notre centre, nous en
suivons déjà une cinquantaine.”
Chercher le fauteur de trouble
L’une des familles dont plusieurs membres ont été suivis à Louvain a placé les
chercheurs devant une énigme. C’est notamment la doctorante Lise Van Engeland
qui s’est penchée sur l’analyse de leur ADN. “Nous savions déjà qu’une anomalie
sur un seul gène du chromosome 22 – SMARCB1 – provoquait la schwannomatose.
Mais dans cette famille, ce gène était normal. En collaboration avec le labo de
recherche de notre collègue Ludwine Messiaen aux États-Unis (University of
Alabama), nous avons approfondi les recherches. Elle avait découvert que, chez
certaines familles, la cause était une mutation du gène LZTR1, qui se trouve
aussi sur le chromosome 22, juste à côté de SMARCB1. Mais non, celui-ci était
aussi tout à fait normal pour notre famille…“
Un gène est un morceau de code ADN (une succession de lettres) qui est ‘lu’
pour fabriquer des protéines, en passant par l’ARN, une sorte de copie de
l’ADN. “L’erreur se produisait peut-être lors de la copie ? Eh bien non,
celle-ci se déroulait aussi parfaitement.”
“Nous étions sûrs que, dans cette famille aussi, la schwannomatose était
clairement liée à la transmission du chromosome 22. L’analyse génétique de tout
le chromosome 22 n’a rien révélé à première vue, jusqu’à ce que quelque chose
nous frappe : juste avant le gène SMARCB1, il y avait une variation que nous n’avions
encore jamais vue. Était-ce l’explication ?”
Faux départ
Tout cela est captivant, mais on perd un peu le fil… Une variante encore jamais
vue ? “Votre ADN se compose d’environ 6 milliards de lettres dans un certain
ordre, qui est différent pour chaque être humain – ce qui fait de vous une
personne unique. Environ 2% constituent un code pour fabriquer des protéines,
qui régulent le fonctionnement de toutes nos cellules. À peu près la moitié est
des répétitions qui ne servent pas au codage des protéines. Et le reste, c’est
un tas de lettres dont nous ne connaissons pas encore très bien l’utilité.”
Dernière partie de ce cours accéléré de génétique : un gène – donc une séquence
de lettres dans un certain ordre, par groupes de trois – commence par un codon
de démarrage et se termine par un codon d’arrêt. Il s’agit de combinaisons de
lettres indiquant ‘le code commence ici’ et ‘il se termine ici’. La variante
examinée de près par l’équipe du prof. Legius apparaît avant le codon de
démarrage de SMARCB1 et dérègle la lecture du code parce qu’elle provoque un
‘faux départ’.
Ce faux départ crée une protéiné inutilisable, qui ne fonctionne pas et qui est
immédiatement détruite après avoir été fabriquée. “Il y a chaque fois deux
copies du chromosome 22 et le gène SMARCB1 sur le deuxième chromosome 22 peut
prendre le relais. Jusqu’à ce que le chromosome 22 avec la copie fonctionnelle
du gène SMARCB1 se perde par hasard, lors d’une division cellulaire, dans une
cellule de Schwann, qui ne va donc plus du tout fabriquer cette protéine. C’est
là que l’erreur se produit et qu’un schwannome se forme.”
Nouvelle piste
Eurêka ! Une bonne chose pour plusieurs familles concernées en Belgique, aux
Pays-Bas et en Italie : désormais, si elles souhaitent avoir un enfant par fécondation
in vitro, elles pourront faire examiner l’embryon au tout premier stade de son
développement et ne faire implanter que les embryons qui ne sont pas porteurs
de l’anomalie. Il est aussi important de connaître la cause précise pour une
éventuelle thérapie future.
Mais y a-t-il aussi un intérêt pour la science ? “Oui, nous avons démontré
qu’il valait la peine d’examiner aussi les variantes juste avant et juste après
les gènes. L’intérêt dépasse donc celui des familles : on observe un mécanisme
qui échappe aux techniques connues d’analyse des mutations pour lesquelles nos
ordinateurs sont programmés. Cette nouvelle piste s’est déjà avérée utile dans
d’autres recherches, nous ne sommes pas les seuls à l’explorer, mais nous
renforçons l’argument en faveur d’un examen systématique de ces variantes.”
À propos du Fonds pour la recherche sur la schwannomatose
Géré par la Fondation Roi Baudouin, le Fonds pour la recherche sur la
schwannomatose a été créé par une famille anonyme et a financé cette recherche.
L’équipe du Prof. Dr. Eric Legius, au Centre d’Hérédité humaine de l’UZ Leuven,
a bénéficié de la collaboration de nombreux membres de la famille, qui ont
fourni leur matériel génétique à des fins d’analyse. L’équipe du Prof. Dr.
Laura Papi de l’université de Florence a également contribué à la recherche en
faisant analyser le matériel génétique de quelques familles qu’elle suivait et
qui présentaient exactement la même variante génétique.
Source : https://www.kbs-frb.be/fr