RDC : Pressions sur les terres au Sud-Kivu. Quelle alternative face à la saturation agraire sur l’île d’Idjwi ?
4 min readLes chercheurs Joël Baraka Akilimali, Dieudonné Bahati Shamamba et An Ansoms ont publié en 2022 dans Openedition cette étude intitulée « Pressions sur les terres au Sud-Kivu (RDC). Quelle alternative face à la saturation agraire sur l’île d’Idjwi ? ». Selon ces scientifiques, cette recherche requestionne le débat des pressions foncières dans l’Est de la RDC en sortant d’une explication devenue classique sur l’origine des conflits fonciers autour des variables « terre – pouvoir – identité ». Elle met en exergue la variable « démographie » et son corollaire de la « rareté de la terre » comme donne inéluctable de la crise agraire dans un contexte particulier d’insularité. Bien que la forte saturation agraire observée sur l’île d’Idjwi soit doublée de fortes inégalités dans la répartition de la terre, l’analyse insiste sur la faible conflictualité violente du fait de l’absence de politisation agraire par des élites locales. Voici ce qu’ils ont écrit dans leur conclusion :
La situation agraire à Idjwi, marquée par l’existence de fortes pressions foncières, fait que ce territoire insulaire reste paradoxalement le moins exposé aux conflictualités violentes, contrairement à celles observées dans d’autres territoires du Sud-Kivu autour de la compétition foncière. Certes une certaine homogénéité sociale relative sur l’île semble a priori expliquer la faible conflictualité de masse, mais une telle homogénéité n’est pas une explication suffisante. D’ailleurs, la conception d’un peuplement homogène à Idjwi n’est pas totale au regard des tensions de faible intensité existant dans l’accès à la terre entre la majorité du peuplement Bahavu et les minorités autochtones pygmées, ainsi que les populations immigrées du Rwanda, mais qui sont plus ou moins intégrées, voire métissées localement. Il a été démontré que de nombreuses sous-régions du Kivu montagneux, qui sont également relativement homogènes sur le plan ethno-tribal (comme au Nord-Kivu autour des groupements bordant le parc national de Virunga et l’Ouganda à l’est des territoires de Beni et Lubero), ont néanmoins vécu d’importants conflits violents autour de la terre pendant que d’autres groupements plutôt hétérogènes ont été largement épargnés (Pottek et al., 2016 : 83-125).
Dans une situation de compétition extrême autour de la ressource principale (la terre cultivable), la composition ethno-tribale (homogène versus hétérogène) de la population locale peut jouer un rôle important dans la propagation de conflits fonciers. Mais la gouvernance est bien plus importante : les systèmes de règles et de normes et leur application cohérente dans la gestion foncière. Notre recherche démontre clairement que l’île d’Idjwi est bien avancée dans ce sens : malgré ses pressions agraires extrêmes, sa gestion foncière a réussi à éviter de grands conflits sanglants autour de la terre. En dépit de tous ses problèmes, Idjwi a alors le « luxe » de pouvoir pleinement se concentrer sur la résolution des plus prégnants problèmes socio-économiques et socio-écologiques de son peuple. Et ceci notamment par la diminution des pressions agraires via la facilitation et la formalisation souple de l’accès à la terre pour les paysans et les sans-terre ; l’adoption et la promotion du savoir local dans la mise en valeur de l’espace et dans les pratiques de l’agriculture ; une promotion proactive d’alternatives économiques à l’agriculture de subsistance ; et la facilitation de la migration croissante vers des espaces ruraux extra-insulaires moins peuplés ainsi que vers les grands centres urbains de la région.
En même temps, au-delà de la décongestion spontanée vers d’autres milieux extra-insulaires, le recours à l’innovation des modes agraires locaux permet une résilience locale et une progressive indépendance vis-à-vis du seul facteur agraire pour la survie locale. La question d’une réforme agraire tendrait à proposer une remise en question des droits sur les grandes exploitations telles que les plantations, même si, en réalité, celles-ci demeurent dans une situation d’exploitation partielle par des paysans, moyennant des petits contrats de métayage. On voit dès lors qu’en dépit de dénoncer le caractère inégalitaire de la répartition foncière du fait des injustices agraires historiques, une réforme agraire allant dans le sens de redistribuer la terre ne peut que conduire à formaliser des occupations déjà existantes. En fait, une résistance des élites politiques qui gardent un contrôle fort sur les institutions de l’État devant valider une telle réforme est inévitable. Dans une région insulaire où la démographie s’accroît sans que s’accroisse le territoire, les réformes agraires doivent plutôt porter sur des innovations socialement promotrices et économiquement orientées vers une prospérité partagée grâce à une gouvernance inclusive, compétitive et créatrice d’emplois durables. La tendance encourageant une réforme agraire vers un retour aux « communs » demeure elle-même limitée dans la mesure où elle finit par être détournée par les élites qui en profitent pour refaire une captation de la rente foncière par un processus de remembrement agraire (Nyenyezi et al., 2021), sans fondamentalement provoquer une économie agricole performante.