Les accords UE-RDC et UE-Rwanda débattus à l’Université de Kinshasa
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La salle Monekosso de la faculté de Médecine à l’Université de Kinshasa a été envahie le jeudi 29 février 2024 par le personnel scientifique et administratif, les étudiants de l’UNIKIN, les membres de la société civile et aussi les journalistes pour suivre la conférence débat sur : « La RDC face aux enjeux de la transition énergétique, cas du secteur minier ».
Cette ruée s’explique par le fait que dans le communiqué publié le site de l’UNIKIN, le Recteur de l’Université de Kinshasa, le Professeur Jean-Marie Kayembe Ntumba, avait indiqué comme thème : « Le Protocole d’accord signé entre la République du Rwanda et l’Union Européenne et le Protocole d’entente sur les chaines de valeur de matières premières critiques et stratégiques signé entre la République Démocratique du Congo et l’Union Européenne ». Avec comme orateur, le Professeur Raphaël Matamba Jibikila (Photo), expert en Mine à l’UNIKIN.
D’entrée de jeu, prudent, l’orateur a recadré l’assistance sur le thème de la conférence, à savoir : « La RDC face aux enjeux de la transition énergétique, cas du secteur minier ». Malgré cela, ces accords ont été débattus lors de cette conférence-débat.
Durant son exposé, l’orateur a donné les caractéristiques de ce que l’on entend par les matières premières stratégiques et/ou critiques : Elles doivent être utilisées dans un grand nombre des secteurs industriels (ce qui fait craindre la pénurie) ; elles doivent être difficilement substituables à court terme; elles doivent faire l’objet de plusieurs applications industrielles ; elles doivent être dotées d’une valeur économique importante ; ses nombreuses applications et sa production doivent être concentrées géographiquement.
Pour éviter la pénurie des matières premières stratégiques et/ou critiques, la Chine a compris ce fait très tôt et a mis en place une stratégie pour garantir sa chaine d’approvisionnement. « La Chine a mis en place une constitution de stocks de certains métaux stratégiques. Cette stratégie permet de faire face à d’éventuelles perturbations dans le processus de production, en évitant ainsi les ruptures d’approvisionnement et les très fortes tensions sur les prix qui en découlent », a expliqué le Professeur Raphaël Matamba.
La Chine a commencé à appliquer cette stratégie depuis les années 2000. Les Américains et les Européens se sont réveillés tardivement vers les années 2010. Ce qui fait que pour être éviter d’être trop dépendants de la Chine, les Américains et les Européens ont commencé à signer des accords ici et là pour garantir eux-aussi leur chaine d’approvisionnement en matières premières. Les Européens n’ont pas signé d’accords seulement avec la RDC et le Rwanda, mais également avec d’autres pays.
Lors du débat, plusieurs questions ont été posées à l’orateur. Le Professeur Tazi a demandé à l’orateur de contextualiser cette conférence en tenant compte de l’actualité pour aider le gouvernement à prendre de bonnes décisions. Une autre question, celle d’un journaliste qui a cherché à savoir si l’accord entre l’Union européenne et le Rwanda ne consiste pas à blanchir les minerais pillés par le régime de Kigali en RDC.
Pour répondre à ces préoccupations, l’orateur a recouru à un document publié en 1988 par Laurien Uwizeyimana, c’est-à-dire bien avant l’arrivée au pouvoir de l’Armée patriotique rwandaise, en 1994. Ce document s’intitule « L’activité minière au Rwanda : d’une exploitation marginale à l’effondrement [monographie] ».
Le Professeur Raphaël Matamba a cité quelques parties de cet ouvrage. D’abord celle-ci : « L’exploitation effective des ressources minières du Rwanda a débuté en 1930. Elle s’est poursuivie jusqu’à nos jours, mais les conditions géologiques et topographiques défavorables, la faiblesse des réserves et les difficultés de transport ont rendu la rentabilité marginale ».
Ensuite, il a cité un passage sur l’exploitation de l’or au Rwanda : « A l’heure actuelle, aucun gisement primaire exploitable n’a pu être découvert, malgré de nombreuses recherches. Le district de Miyove, au nord du pays, a jusqu’à présent donné près de 2,5 t d’or ».
Enfin, il a montré une carte de la production d’étain en 1981, 1982 et 1983. En 1981, en milliers des tonnes, la RDC avait produit 2,5 et le Rwanda 1,251 ; en 1982, la RDC 2,2 et le Rwanda 1,158 ; en 1983, la RDC avait 2 contre 1,068 pour le Rwanda. A l’époque, la RDC était 12ème producteur mondial de l’étain et le Rwanda 17ème. En 1983, si la RDC avait 1% de la production mondiale de l’étain, le Rwanda avait 0,6%.
Dans l’accord signé entre l’Union européenne et le Rwanda, on peut lire ces passages : « Les chaînes de valeur pour les minerais sont essentielles pour l’économie du Rwanda. Le pays est un acteur majeur au niveau mondial dans le secteur de l’extraction de tantale. Il produit également de l’étain, du tungstène, de l’or et du niobium, et dispose de réserves de lithium et de terre rares. En outre, grâce à l’état de droit et à un environnement favorable aux investissements, le Rwanda a la capacité de devenir une plaque tournante dans le domaine de la création de valeur ajoutée dans le secteur des minerais. Une raffinerie d’or existe déjà et une raffinerie de tantale sera bientôt opérationnelle. Le Rwanda possède également la seule fonderie d’étain active en Afrique ».
Le professeur a souligné le fait que dans son accord avec la RDC, l’Union européenne n’a pas repris toutes les matières premières produites par la RDC. « Mais maintenant, il revient à l’Union européenne de prouver que les matières premières citées dans l’accord avec le Rwanda existent réellement », a-t-il dit.
Le Professeur a rappelé le fait que le Rwanda n’a appliqué que cinq des six outils en rapport avec l’exploitation des matières premières de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL), alors que la RDC applique les six outils.
Pour l’expert en Mines, Raphaël Matamba, dans cet accord avec le Rwanda, l’Union européenne cite quelques gisements, mais scientifiquement on n’a rien vu. Il faut commencer avec les outils de CIRGL et voir si l’UE devrait signer cet accord avec le Rwanda. Si le Rwanda n’en a pas, il doit dire d’où ces minerais viennent. Et savoir si ces minerais arrivent au Rwanda par des voies légales.
Jean-René Bompolonga