RDC : 13e anniversaire de la Constitution du 18 février 2006, Prof André Mbata parle de la Constitution du 18 février 2006, « Nous, Peuple congolais » et le Président de la République
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Le lundi 18 février 2019 a marqué le 13e anniversaire de la Constitution de la République Démocratique du Congo (RDC) qui avait été adoptée par référendum du 18 au 19 décembre 2005 et promulguée par le Président de la République le 18 février 2006. A cette occasion, fidèle à une tradition instituée depuis le 10e anniversaire, l’Institut pour la Démocratie, la Gouvernance, la Paix et le Développement en Afrique (IDGPA) avait organisé une conférence sur le thème « Le Peuple et la Constitution ». Cette conférence qui avait eu lieu dans la Salle de Promotion de l’Université de Kinshasa (UNIKIN) avait été placée sous le patronage du Président de la République, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo. Compte tenu de son importance, voici un condensé de l’exposé du Professeur André Mbata Mangu, le directeur exécutif de l’IDGPA, qui était l’un des intervenants lors de cette conférence.
Après l’élection de l’opposant Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo pour succéder à Joseph Kabila comme Président de la République, le 13e anniversaire de la Constitution méritait d’être célébré non seulement à cause de ce qu’elle est, mais aussi parce qu’elle intervient après que le régime ait échoué dans ses dernières tentatives tendant à la réviser afin d’obtenir un 3e mandat présidentiel pourtant interdit par l’article 220. Il coïncide avec l’alternance démocratique considérée comme l’une des préoccupations majeures ayant présidé à l’organisation des institutions.
Proposée par le Sénat, adoptée par l’Assemblée nationale et promulguée par le Président de la République, la Constitution du 18 février 2006 est une constitution congolaise même si elle a bénéficié de la contribution de plusieurs experts étrangers, comme c’est le cas de plusieurs autres constitutions.
Le peuple et la Constitution
Le constituant originaire, c’est Nous, Peuple Congolais, Uni par le destin et par l’histoire autour de nobles idéaux de liberté, de fraternité, de solidarité, de justice, de paix et de travail, ce qui exclut toute unité autour des antivaleurs comme la haine tribale ou ethnique, la discrimination, l’injustice, les conflits et la paresse. Le peuple congolais entendait combattre l’injustice et bâtir, au cœur de l’Afrique, un Etat de droit et une Nation puissante et prospère fondée sur une véritable démocratie politique, économique, sociale et culturelle. La justice rimant avec l’Etat de droit, la Constitution stipule que la RDC est un Etat de droit et comme un Etat de droit peut être aussi un Etat autoritaire, celui voulu par notre peuple est un Etat de droit démocratique. (Article 1)
La souveraineté nationale appartient au peuple. Tout pouvoir émane du peuple qui l’exerce directement par voie de référendum ou d’élections, et indirectement par ses représentants. Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. (Article 5) Notre peuple n’entendait pas établir un gouvernement du Président de la République, des parlementaires, un « gouvernement des juges » ou des partis politiques – particratie -, mais plutôt une démocratie, le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple tel qu’inspiré par le président américain Abraham Lincoln dans son discours historique prononcé au cimetière militaire de Gettysburg le 19 novembre 1863
Le Président de la République, la Constitution et Nous, Peuple Congolais
Le Président de la République est la première institution de la République. (Article 68) Il est le Chef de l’Etat. Il représente la nation et est le symbole de l’unité nationale. Il assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions ainsi que la continuité de l’Etat. (Article 69) La Cour constitutionnelle congolaise avait donc erré en s’attribuant le pouvoir de « régulateur des services publics » qui revient au Président de la République et non pas à la Cour constitutionnelle comme clairement stipulé dans la Constitution béninoise de 1990.
Le Président de la République est aussi le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, et de la souveraineté nationale. (Article 69) A moins de vouloir trahir ou se rebeller contre le peuple souverain, les autres institutions et leurs animateurs doivent tenir compte du statut particulier du Président de la République.
Le Président de la République nomme le Premier ministre et les autres membres de son Gouvernement (Articles 78 et 90). Il participe à la définition de la politique de la nation qui est conduite par le Gouvernement (Article 91). Il communique avec l’Assemblée nationale et le Sénat qui sont les deux chambres du Parlement (Article 100). Il nomme et révoque les juges et les magistrats du parquet dans le respect de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Il est le commandant suprême de la police nationale et des forces armées qui doivent être au service de la nation (Articles 83, 182 & 187). Il investit les Gouverneurs et Vice-Gouverneurs des Provinces. Dans certaines conditions, il peut dissoudre l’Assemblée nationale et les Assemblées provinciales. (Articles 148 & 198)
Il est cependant confiné dans un mandat (cinq ans renouvelable une fois) (Article 70) dont le nombre et la durée ne peuvent faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle (Article 220). Il peut être mis en accusation, poursuivi, jugé, condamné et déchu par la Cour constitutionnelle pour cause de haute trahison lorsqu’il a violé intentionnellement la Constitution ou lorsqu’il a été reconnu auteur, coauteur ou complice de violations caractérisées des droits de l’ homme ou de la cession d’une partie du territoire national. (Articles 164-167)
Ainsi, avant son entrée en fonction, le Président de la République prête serment devant la Cour constitutionnelle. Il jure solennellement devant Dieu et la nation d’observer et de défendre la Constitution et les lois de la République. (Article 74) Représentant de la nation entière, le Président de la République ne saurait se comporter en chef de parti car il doit être au-dessus de tous pour servir le peuple souverain. C’est dans ce sens que les fonctions de Président de la République et de membre du Gouvernement sont incompatibles avec toute responsabilité au sein d’un parti politique. (Articles 96 & 97) Une telle incompatibilité aurait pu aussi être consacrée pour les Gouverneurs de Provinces et les membres des Gouvernements provinciaux, les mandataires publics, les ambassadeurs, et même pour les membres des bureaux des institutions telles que l’Assemblée nationale, le Sénat, les Assemblées provinciales et le Conseil économique et social.
Sous la présidence de Félix Tshisekedi qui s’est engagé à aller plus loin que son prédécesseur Joseph Kabila dans la promotion de l’Etat de droit, le Président de la République devrait cesser d’être et de se comporter en « autorité morale » d’un parti ou d’un regroupement politique. L’autorité morale est loin d’être un statut protocolaire car elle continue de diriger son parti. Il s’agit d’une fraude à la Constitution et même d’une violation constitutionnelle qui ne devrait plus être tolérée. On ne devrait plus jamais avoir un Président de la République, un Gouverneur ou Vice-Gouverneur de Province, un membre du gouvernement national ou provincial, un ambassadeur, un mandataire public ou un responsable de service public qui soit également une autorité morale ou un responsable d’un parti ou d’un regroupement politique.
La Loi sur le statut des anciens Présidents de la République élus devra être révisée pour avoir été malencontreusement étendue aux animateurs d’autres institutions comme les anciens Premiers ministres, les anciens Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat ainsi que les anciens Premiers Présidents de la Cour constitutionnelle, du Conseil d’Etat et de la Cour de Cassation et les anciens Procureurs généraux près ces juridictions. Cette loi devrait également leur interdit d’être des « autorités morales » ou d’exercer des responsabilités au sein des partis ou regroupements politiques.
Le comportement actuel de l’ancien Président Kabila reconnu comme une « autorité morale » du Front Commun pour le Congo (FCC) constitue un sérieux rétropédalage au mépris de toute règle d’éthique politique requise par la Constitution.
La Constitution prévoit par ailleurs :
Avant leur entrée en fonction et à l’expiration de celle-ci, le Président de la République et les Membres de Gouvernement sont tenus de déposer devant la Cour constitutionnelle, la déclaration écrite de leur patrimoine familial, énumérant leurs biens meubles, y compris actions, parts sociales, obligations, autres valeurs, comptes en banque, leurs biens immeubles, y compris terrains non bâtis, plantations et terres agricoles, mines et tous autres immeubles avec indication des titres pertinents. Le patrimoine familial inclut les biens du conjoint selon le régime matrimonial, des enfants mineurs et des enfants même majeurs, à charge du couple. Faute de cette déclaration, endéans les trente jours, la personne concernée est réputée démissionnaire. Dans les trente jours suivant la fin des fonctions, faute de cette déclaration, en cas de déclaration frauduleuse ou de soupçon d’enrichissement sans cause, la Cour constitutionnelle ou la Cour de cassation est saisie selon le cas. (Article 99)
L’obligation de déclaration écrite de patrimoine qui vise à promouvoir la bonne gouvernance et la lutte contre l’impunité devrait s’étendre aux parlementaires, aux juges et magistrats, aux Gouverneurs et aux membres des gouvernements provinciaux, ainsi qu’à tous les responsables des établissements et des services publics, avant leur entrée en fonction et à l’expiration de celle-ci. La déclaration de patrimoine du Président de la République et des membres du Gouvernement, nouveaux et anciens, devrait être accessible au peuple congolais à travers sa publication au Journal Officiel et non pas seulement aux magistrats de la Cour constitutionnelle et à l’Administration fiscale !
Le Président Félix Tshisekedi ayant prêté serment et étant entré en fonction après la passation des pouvoirs avec Joseph Kabila le 24 janvier 2019 vers 15h, il devrait impérativement déposer une déclaration écrite de son patrimoine, de ceux de son conjoint, de leurs enfants mineurs et même majeurs à la charge du couple le samedi 23 février 2019 à 16h au plus tard. Il en est de même de l’ancien Président Joseph Kabila.
L’occasion est ainsi offerte à Joseph Kabila de justifier tout le bien que ses partisans disent de lui et de prouver au peuple congolais qu’il est un homme qui respecte son serment, qu’il se sera conformé à la Constitution jusqu’au bout et que les milliards et les innombrables biens meubles et immeubles au pays et à l’étranger qu’on attribue à son épouse, à lui-même et à leurs enfants relèvent de la pure imagination de ses adversaires ou de ses ennemis.
Fini donc le suspens. Nous, Peuple Congolais devrions connaître dans la soirée de samedi 23 février 2019 non seulement la hauteur du patrimoine du nouveau Président de la République qui devrait être modeste, mais aussi la fortune acquise par l’ancien Président en comparant son patrimoine actuel à celui qu’il avait déclaré lors de sa réélection en 2011.
En ce qui concerne les anciens membres du gouvernement, ils ne sont nullement à l’abri étant donné qu’il n’y a pas prescription. Le temps écoulé ne couvre pas le crime. Ainsi, la Cour constitutionnelle ou la Cour de Cassation est compétente pour être saisie ou se saisir sans délais des cas des Premiers ministres Antoine Gizenga, Adolphe Muzito, Matata Ponyo, Samy Badibanga, Bruno Tshibala et des membres de leurs gouvernements respectifs qui n’auraient pas fait de déclaration écrite de patrimoine, auraient fait des déclarations frauduleuses ou qui seraient soupçonnés d’enrichissement sans cause à l’expiration de leurs fonctions !
Comme le commande son serment, le Président de la République ne doit pas se laisser guider par son propre intérêt, ceux des membres de sa famille biologique, de ses courtisans, d’un parti ou d’un groupement politique, mais plutôt par l’intérêt général, et il doit consacrer toutes ses forces à la promotion du bien commun. La dernière phrase de son serment fait du Président de la République non pas un « roi » à aduler, un « raïs », mais plutôt un « fidèle serviteur du peuple ». Le Président Tshisekedi qui a promis le changement à son peuple ne peut réussir son mandat qu’en s’entourant des personnes mues par le même idéal et non les mêmes personnes ou des caciques de l’ancien régime à la base du bilan désastreux de son prédécesseur qui a toujours regretté de n’avoir pas eu ne fut-ce qu’une dizaine d’hommes et de femmes qui auraient pu l’aider à changer le Congo.
S’agissant de la nomination tant attendue du Premier Ministre qui devrait être issu de la majorité parlementaire (Article 78), il sied de noter qu’une telle majorité n’existe pas. Du reste, la majorité parlementaire ne se décrète pas dans un restaurant, un bar ou une ferme, mais elle se constate au Parlement au regard du nombre des sièges obtenus.
Le FCC, LAMUKA ou CACH n’ont été que des plateformes électorales, sans personnalité juridique et inconnues du Parlement où les Députés et Sénateurs ne sont identifiés que selon leurs partis et regroupements politiques. Un communiqué ou un acte d’engagement que l’on ferait signer aux dirigeants de ces plateformes en dehors du Parlement ne suffirait pas à les transformer en majorité parlementaire surtout lorsque plusieurs signataires ne sont pas eux-mêmes des Députés nationaux ou des Sénateurs et que la Constitution stipule que « tout mandat impératif est nul ». (Articles 101 & 104)
Comme c’était le cas avec le MNC/Lumumba en 1960 qui avait le plus grand nombre d’élus sans pourtant détenir la majorité au Parlement, le Président Tshisekedi n’a pas d’autre choix que de désigner comme informateur une personnalité à qui il confiera une mission d’information en vue d’identifier une coalition. Le communiqué et l’Acte d’engagement signés par les ténors du FCC qui se réfèrent à une « coalition » de gouvernement visée par l’article 78 de la Constitution est un aveu de l’inexistence de la majorité parlementaire dans le chef même des membres du FCC réunis autour de leur « Autorité morale » !
Aussi, selon la logique du régime parlementaire qui sous-tend l’architecture institutionnelle, le Premier Ministre devrait provenir de la majorité parlementaire, plus spécialement de la majorité à l’Assemblée nationale qui approuve son programme et investit le Gouvernement (Article 90). Il n’est pas possible qu’une personne qui n’est pas membre du Parlement puisse se réclamer de la majorité parlementaire et être nommé Premier Ministre comme ce fut le cas avec les Premiers Ministres Gizenga, Muzito, et Matata.
En l’absence d’une majorité parlementaire à l’Assemblée nationale, la nomination d’un Premier Ministre sans passer par la désignation d’un informateur comme l’exigent les partisans de l’ancien Président Kabila serait un mauvais signal de la part du Président Tshisekedi quelques semaines seulement sa prestation de serment.
Il est important de souligner que même si elle existe, une majorité parlementaire n’impose pas un Premier Ministre au Président de la République peut demander une liste reprenant plusieurs personnalités. L’article 78 l’oblige à consulter. Il s’agit d’un avis obligatoire, mais non conforme.
Constitution du 18 février 2006: Cap vers le futur
Toute Constitution est révisable même si toutes les matières constitutionnelles ne le sont pas. Au 13e anniversaire de la Constitution congolaise, il importe d’épingler certaines d’entre-elles qui peuvent prochainement faire l’objet d’une révision sans énerver le contenu des dispositions intangibles expresses (Article 220) ou implicites de la même Constitution. Il s’agit notamment des articles 10, 71, 104 et 198. L’article 10 sur l’exclusivité de la nationalité devrait être amendé afin de reconnaître à chaque Congolaise et à chaque Congolais le droit d’acquérir une nationalité étrangère sans perdre sa nationalité congolaise d’origine. Déjà touché par la révision constitutionnelle du 20 janvier 2011, l’article 71 mérite une nouvelle révision afin de renforcer la majorité requise pour l’élection du Président de la République qui devrait être absolue et ouvrir la voie au second tour qui avait été supprimé.
En outre, pour combattre la corruption à ciel ouvert qui s’observe au lendemain des élections du 30 décembre 2018, les articles 104 et 198 pourraient dans l’avenir être amendés pour que les Sénateurs, les Gouverneurs et Vice-Gouverneurs des Provinces soient élus directement au suffrage universel comme les Députés nationaux et provinciaux et non plus au second tour par les Assemblées provinciales.
En conclusion, avec une seule révision constitutionnelle pendant ses 13 ans d’existence, la Constitution du 18 février 2006 a déjà eu le mérite d’exister plus longtemps que toutes les constitutions congolaises antérieures et ce, malgré les menaces de tout genre émanant des tambourinaires du pouvoir présidentiel. Elle est faite pour durer même si certaines retouches s’avèrent nécessaires. Expression de la volonté et âme du peuple congolais qui l’avait adoptée par référendum, elle doit être respectée et défendue par tous. « Le Peuple d’abord », slogan de campagne d’Etienne Tshisekedi en 2011 et qui va l’accompagner tout au long de son mandat est un appel à la vigilance citoyenne et au contrôle citoyen ainsi qu’une interpellation du Président Félix Tshisekedi afin qu’il puisse se comporter en loyal et « fidèle serviteur du peuple » en toutes circonstances de lieu et de temps, se conformant ainsi au serment qu’il a prêté solennellement « devant Dieu et la Nation »!
Prof André Mbata