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Prof Lumpungu s’exprime sur le pondu vendu dans une boite de conserve : « Non seulement le pondu, mais beaucoup d’autres produits peuvent avoir du succès »

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Prof Christophe Lumpungu

Les feuilles de manioc mises dans une boite de conserve

Les feuilles de manioc (pondu) sont mises dans une boite de conserve et vendues. Face à cette initiative louable, le Papyrus a approché le professeur émérite Christophe Lumpungu Kabamba pour quelques préoccupations.  Suivez cette interview dans les lignes suivantes

Le Papyrus (LP) : Pensez-vous au succès de cette initiative quand certains Congolais ont en horreur le pondu et le fufu froid ?

Professeur Lumpungu Kabamba (PLK) : Avant de répondre à cette question, j’aimerais faire quelques observations.

Il est vrai que pour tout ce qui semble être nouveau, il y a toujours une certaine réserve, parfois même, une certaine réticence qui peut être souvent injustifiée tant qu’on n’a pas vérifié la chose. Aussi, il faut noter que le comportement humain, peut changer d’une génération à une autre, comme il peut aussi changer en fonction d’autres raisons, comme par exemple les conditions socio-économiques, environnementales ou technologiques pour n’étayer que ces quelques paramètres dont la liste n’est  pas exhaustive. A ce sujet, je pourrais rappeler ce qui suit :

  • Dans les années 60, qui pouvait manger un poulet congelé ? Personne, on l’appelait même « ebembe ». Je préfère m’arrêter à « ebembe » tout court.
  • Toujours dans les années 60, qui pouvait manger en public le mpiodi dont la génération d’aujourd’hui raffole ?

Les vendeuses de Zando offraient, presqu’en cachette, les mpiodi à celles des leurs clientes qui leur avaient acheté beaucoup de choses. D’ailleurs, par mépris au mpiodi, certaines dames déclinaient l’offre. Pour vous en convaincre, souvenez-vous de la chanson de Jean Bokelo « Mbisi ya ofele » !

Dans certains milieux, pour en manger, il fallait se cacher pour que les voisins ne vous voient en manger.

  • Dans des conditions socio-économiques difficiles, le comportement humain change forcément.

Il y a quelques années, quel est ce fonctionnaire qui troquerait son stylo contre une houe ? Aujourd’hui, il le faut bien pour pouvoir joindre les deux bouts du mois.

  • Dans un nouvel environnement, on est bien forcé d’adopter les habitudes du milieu si on veut survivre.
  • Dans beaucoup de groupes ethniques, voir un homme piler le manioc ou le maïs, c’était un tabou. On disait même que celui qui le fait risquait de se voir pousser des seins comme une femme.

Aujourd’hui, visitez  tous les moulins, même dans nos villages les plus reculés, ce ne sont que des hommes qui y travaillent. Ils font ce travail, autrefois dévolu aux femmes à cause du changement de l’outil de travail.

Pour répondre à votre question, à mon avis, je dirais que non seulement le pondu, mais beaucoup d’autres produits peuvent avoir du succès, non seulement dans le pays mais aussi à l’extérieur, dans des pays étrangers. Tout est question de marketing !

Déjà dans les années 60, en Belgique, on pouvait acheter du « Saka-saka » et de la « Moambe » qui venaient de la R.D.C. Les étudiants ouest-africains qui disaient que c’était du poison, ont fini par en consommer.

Une anecdote au sujet du pondu. A une certaine époque où le faste était la règle au Zaïre, surtout à l’occasion de certaines fêtes comme celle du 30 juin, à l’une de nos Ambassades dans un pays latino-américain, on avait aligné le pondu parmi les plats.

Beaucoup d’invités avaient apprécié ce légume qu’ils dégustaient pour la première fois.

A la fin de la fête, dans son mot de remerciement, le Speaker avait souhaité savoir quel était ce légume si délicieux qu’ils venaient de découvrir.

Quand il leur avait été dit que c’était les feuilles de manioc, c’était un silence dans la salle qui, pourtant, était joyeuse, quelques minutes auparavant. Imaginez pourquoi ? Dans ce pays, feuilles de manioc égal « poison ». Tout le monde s’attendait à une intoxication alimentaire collective.

Mais, un jour, deux jours après, aucun écho de décès par intoxication parmi tous les invités à la fête de l’Ambassade du Zaïre.

A partir du 3ème jour, le téléphone de l’Ambassade ne cessait de sonner pour demander comment ce « poison » avait été transformé en un délicieux légume. Depuis ce jour-là, le pondu figure parmi les mets de beaucoup de citoyens de ce pays latino-américain.

En ce qui concerne le fufu froid, il est possible que certains Congolais l’aient en horreur, mais je vous garantis que certains autres en raffolent justement (bidia bilala). Le monde change, aujourd’hui dans certains des supermarchés de Kinshasa, on vend le fufu prêt à manger, emballé dans un film plastique.

LP : Du temps du maréchal  Mobutu, des chercheurs avaient mis la chikuangue dans une boite. Malgré la forte médiatisation à l’époque, l’initiative n’a pas été une réussite. Pouvez-vous nous dire pourquoi il y a eu cet échec si vous en avez eu connaissance ?

PLK : La Chikuange en boite ! Sans être trop affirmatif, je pense que beaucoup de consommateurs n’apprécieraient pas le produit. Je pense que la feuille traditionnelle d’emballage contribue énormément au relèvement du goût de la chikuange. Aux transformateurs d’en tenir compte.

LP : Les Congolais ont, dans leur grande majorité, un faible pouvoir d’achat. Vont-ils mordre à un tel projet ?

PLK : Les produits transformés, si, bien sûr, ils les sont pour les Congolais, il faut croire que c’est aussi bien pour les Congolais du pays que les Congolais de la diaspora. Au-delà, il faut arriver à les faire consommer par d’autres personnes que les Congolais, dans le pays et hors du pays.

Pour les Congolais à revenu faible qui sont, dans le pays, d’ailleurs les plus nombreux, il faut faire intervenir la discrimination de prix, si le produit reste de même qualité pour ne pas les exclure de la consommation du produit. Ou alors, on peut procéder à la discrimination de la qualité.

LP : Personnellement, êtes-vous pour ou contre cette initiative en connaissant les habitudes culinaires des Congolais ?

PLK : Personnellement, je pense que c’est une, parmi tant d’autres initiatives qui peuvent contribuer, d’une manière ou d’une autre, à la promotion de nos produits agricoles que j’encourage. Je me souviens, entant qu’étudiant à l’étranger, quand je rentrais, après les vacances au pays, je préférais amener le pondu séché (plus léger et facilement conservable).

 

Propos recueillis par JR Bompolonga

 

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