Me Evariste Kazadi : « La justice en RDC est loin du Palais de justice »
6 min readL’Emission « Grande Interview » de Radio Okapi a interviewé Me Evariste Kazadi, avocat au barreau de Kinshasa Matete et de Lubumbashi, le samedi 16 octobre 2021. Me Evariste Kazadi est avocat depuis le 28 février 1997. Le Papyrus publie quelques unes de ses déclarations dans ce jeu de question-réponse;.
Radio Okapi (R.o):Quels sont les grands changements que vous avez noté dans le secteur de la justice congolaise ?
Me Evariste Kazadi (MEK) : Quand nous avons commencé la profession tout était concentré dans certaines juridictions. Par exemple, il n’y avait que quelques cours d’appel dans les provinces. Il y en avait au moins 10. Il y avait des tribunaux de paix limités. Il y avait une difficulté réelle de relayer le justiciable à la justice. Sous Mzee Kabila, on a fait l’extension des tribunaux de paix. C’est ainsi qu’à Kinshasa, on a plusieurs tribunaux de paix, et presque dans toute la république.
Les tribunaux de grande instance ont évolué sous Joseph Kabila. Nous nous sommes rendus compte qu’on a fait éclater les cours d’appel. Il y avait 11 cours d’appel, aujourd’hui nous en avons plus de 26. Chaque district aujourd’hui représente une cour d’appel. Il y a une progression dans l’extension de l’appareil judiciaire. Il y a le souci de vouloir rapprocher le justiciable de la justice.
R.O.: Avec la dernière reforme, la Cour suprême a été éclatée en 3 juridictions. Quels sont les avantages et les inconvénients de cet éclatement ?
MEV : Nous sommes contents parce que la Cour suprême de justice, comme elle était suprême elle avait concentré toutes les chambres en son sein. Ainsi les juges devenaient des super juges. En même temps, en matière administrative, ils pouvaient répondre, la matière constitutionnelle ils répondaient, la matière judiciaire ils répondaient. A ce moment-là, le juge-là devenait un peu surchargé. Il y avait une réelle lenteur à la Cour suprême de justice. Un dossier peut arriver à la Cour suprême en 2011 et l’arrêt de la Cour suprême, en suivant le processus de la procédure, était rendu 5 ou dix ans après. Le justiciable aurait même oublié, l’intérêt public n’existerait même pas.
L’éclatement de cette ancienne Cour suprême fait qu’aujourd’hui, vous pouvez-vous vous rendre compte, que les juges qui sont à la Cour de cassation ne traitent que les matières de cassation, en matière civile et pénale. Vous vous rendrez compte qu’en matière de contentieux électoral et autres, il y a la Cour constitutionnelle qui prend du début à la fin l’interprétation des textes constitutionnels et des lois électorales ensemble. Ce qui fait qu’aujourd’hui que l’appareil judiciaire est devenu plus souple. Et les juges se forment dans un centre sans que ceux qui sont dans la Cour de cassation sachent de quelle matière ils traitent.
R.O.: Nous avons constaté que dans les provinces, plusieurs juridictions, notamment d’ordre administratif, ne sont pas encore installées. Qu’est-ce qui bloque ?
MEK : Moi, j’ai remarqué au fait que les juges sont pleins à Kinshasa. Rien que pour la Cour d’appel de Matete, il y a une centaine des juges tandis qu’à Gbadolite, une chambre ne peut pas se constituer, ’il n’y a que deux ou trois juges qui sont à la Cour d’appel. Pourquoi ici il y a une cent des personnes et là 3 personnes ? C’est un faux débat de dire qu’il y a carence du personnel, tout le monde est concentré en ville. Si on veut équilibrer, des jeunes magistrats avec des anciens peuvent être déversés dans toute la république. A Gombe, il y a des juges qui siègent une fois tous les 3 mois, ils sont tellement nombreux pour organiser des audiences. Il n’y a pas un problème de carence, mais une mauvaise application de leur mutation.
R.O.: Dites-nous Maitre, si on vous demandait de poser un diagnostic de l’appareil judiciaire congolais, quels problèmes identifierez-vous ?
MEK : Aujourd’hui, après avoir fait une carrière longue dans la justice, nous nous rendons compte de plus en plus que la justice est loin du Palais de justice. La justice est là, mais le justiciable n’arrive pas à trouver satisfaction. C’est ainsi qu’il y a plus des gens qui cherchent à aller dans tous les autres sens. Les gens recourent à certaines structures, à certaines personnes qui ont un certain pouvoir pour intervenir. L’interventionnisme dans les matières judiciaires devient de plus en plus grand. Un général peut influencer, un policier de haut rang peut influencer, un DG, et tout le monde peut dire que je connais quelqu’un qui peut m’aider pour arriver à la justice et le juge n’arrive pas à rendre de façon équitable sa mission qui est de dire le droit et de rendre justice à chaque justiciable.
R.O.: Parlons de la corruption dans ce secteur. Il se pourrait que sans argent il est impossible de gagner un procès en RDC même si la raison est de votre côté.
MEK : C’est même institutionnalisé aujourd’hui. Chaque jugement rendu est monnayé, il doit avoir un prix. Chaque justiciable, avoir raison ou pas, doit s’organiser pour que le juge soit corrompu pour rendre justice. On est inquiet de voir que d’ici demain, on va avoir une tarification d’un jugement rendu. Le pauvre n’aura plus de moyens, et le riche pourra tarifier et on aura un prix pour chaque jugement. C’est inquiétant.
R.O: S’i faut comparer la situation de la justice sous Mobutu, sous Kabila et aujourd’hui sous Félix Tshisekedi, pouvons-nous parler de la progression ou de la régression ?
MEK : L’actuel président de la république a prôné un Etat de droit. Le droit soit dit dans tous les sens. A l’époque de Mobutu, nous avons dit que c’était sous la dictature. Mais si on analyse bien, le justiciable pouvait savoir que le juge pouvait rendre justice. Aujourd’hui, on se rend compte que les affaires sont prises en délibéré pendant longtemps, il n’y a aucune contrainte. Alors qu’aujourd’hui, il y a des structures de contrôle des magistrats et des institutions. Pour ma part, pour avoir travaillé plus de 20 ans dans la justice congolaise, nous nous rendons compte que l’homme n’a plus à espérer dans la justice. Il ya même une blague qu’une personne nous a dit un jour que pour avoir connu un conflit devant les cours et tribunaux, aujourd’hui, il sait que le Palais existe, mais il croit que dans ce palais, la justice n’y est pas. C’est vraiment le trafic du plus fort, la loi du plus fort, celui qui peut écraser le plus faible le fait. La justice n’a pas progressé, il y a beaucoup à refaire encore et de reformer profondément et des personnes, et de l’appareil et de la notion même de la justice.
Aujourd’hui, il y a des gens depuis qu’ils sont nommés, ils sont encore à Kinshasa. A l’époque de Mobutu, chaque deux ans, trois ans, on faisait des permutations. Et ceux qui étaient en ville pouvaient connaître les autres juridictions, les autres milieux pour rendre justice. Aujourd’hui, le juge s’habitue à la société, prend des stratégies en fonction de la société, il influence son pouvoir dans la société du fait qu’ils sont sédentaires, ils ne sont plus nomades comme à l’époque pour connaître le pays et rendre justice. Ca c’est mon point de vue sur la régression de la justice au Congo.
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