Les mauvaises pratiques en matière de recherche scientifique à l’Université de Kinshasa1
23 min readIntroduction
L’Université a été conçue comme un haut lieu du savoir2 , un savoir savant susceptible d’éclairer la société, de lui proposer des solutions aux différents défis auxquels elle serait confrontée. Cette mission, elle devait la remplir essentiellement par l’enseignement mais surtout par la recherche. D’où la nécessaire synergie3 qui est censée exister entre les chercheurs ou les savants des universités et les décideurs politiques, premiers destinataires du savoir savant qu’ils doivent impérativement convertir en politiques publiques destinées, à leur tour, à impulser le développement de la société.
L’Afrique en général, et la République Démocratique du Congo, en particulier, est une importante pépinière de recherche scientifique où les intelligences doivent s’exercer pour appréhender les innombrables défis qui se dressent en face des populations et leur trouver des réponses correspondantes, capables de nourrir leur espérance en une vie meilleure.
Et lorsque le colonisateur belge avait créé l’Université congolaise, sa vision était justement celle de former cette élite qui devait non seulement lui succéder dans les rouages politiques, économiques et administratifs, mais surtout pour endosser la lourde responsabilité de conduire aux destinées de ce pays gracieusement béni par la nature. Dans les années 70 du siècle dernier, l’Université congolaise avait effectivement été ce pôle d’intelligence qui attirait de nombreux africains à la recherche du savoir, principalement dans les domaines de la médecine, de la polytechnique et des sciences humaines et sociales. Cette période avait même connu une apogée de la littérature congolaise (zaïroise), avec des figures comme celles de Mudimbe, de Ngal, etc.
La dégringolade sociopolitique et économique du pays a fort malheureusement et logiquement entrainé celle du haut-lieu du savoir qu’est l’université. Politisée à outrance et soumise aux contingences politiciennes qui la reléguaient à un rôle marginal dans l’ordre des priorités et des choix politiques, l’Université a été vidée de ses cerveaux obligés d’émigrer vers des cieux qui pouvaient leur accorder la valeur qui était la leur. Ceux qui avaient choisi de rester, avec espoir que l’ordre des choses pouvait encore positivement changer, devaient alors subir la loi de la médiocrité imposée par le pouvoir politique qui n’envisageait que la sape de ce haut-lieu du savoir et le nivellement par le bas4 de sa crème restante. La conséquence logique de cette politique est qu’aujourd’hui, ainsi que le décrit Ka Mana5 , le métier d’enseignant est dévalorisé, dévalué, marginalisé au profit des carrières politiques qui propulsent une minorité de professeurs vers les sphères de l’élite dirigeante. Dans ces conditions, peut-on attendre de nos universités une pratique digne, efficiente et utile de la recherche scientifique ? La recherche scientifique, dans un tel contexte, est-elle capable d’influencer la société congolaise vers un progrès ? Enfin, comment se comporte actuellement la recherche scientifique dans notre université, l’Université de Kinshasa, ex Lovanium ? Telles sont les questions que cette communication aborde et auxquelles elle tente d’apporter des réponses. Pour y parvenir, la réflexion est axée sur deux points, à savoir l’exposé des tares qui minent et gangrènent la recherche scientifique à l’Université de Kinshasa et les pistes ou recommandations pour y remédier.
I. Les tares qui tirent vers le bas la recherche scientifique à l’Université de Kinshasa
La recherche scientifique relève du domaine de l’intelligence, et qui dit intelligence dit raison, lumière, éclairage pour la société. Ainsi, l’on ne saurait exercer le métier de l’intelligence susceptible d’orienter la société en usant des pratiques déshonorantes et médiocres. D’où l’impératif d’un code de bonne conduite dans la recherche, d’une déontologie en matière de recherche scientifique. On parle alors de l’intégrité et de l’éthique dans la recherche scientifique.
I.1. La notion d’intégrité scientifique et d’éthique dans la recherche scientifique
D’après le dictionnaire universel, l’intégrité est un état d’une chose à laquelle il ne manque rien. Le Larousse ajoute qu’elle est l’état de quelque chose qui a toutes ses parties, qui n’a subi aucune diminution, aucun retranchement. Mais dans le domaine de la recherche, il s’agit d’une qualité dont est dotée un chercheur à qui on reconnait une probité irréprochable dans le respect des règles de l’art.
Pour Stanislas Kisangani Endanda6 , l’intégrité scientifique serait donc le fait que l’activité scientifique est faite selon les règles strictes des exigences de la science, qui a justement pour mission de produire des connaissances vraies sur un objet spécifique selon des méthodes et des techniques appropriées à cet objet. En effet, les savants professeurs et chercheurs sont des personnes qui sont investies d’une autorité scientifique pour produire et éventuellement transmettre des connaissances aux hommes de la société. Cette compétence exige d’eux une rigueur morale qui rassure les destinataires de ces connaissances, à telle enseigne qu’un moindre doute en rapport avec leur intégrité peut jeter de l’émoi dans la société.
L’intégrité scientifique conduit le savant ou le chercheur à cultiver un certain nombre des valeurs, à observer des principes et des normes susceptibles de le rendre toujours apte et digne de produire et de transmettre des connaissances à la société. On parle alors de l’éthique de la recherche scientifique, définie justement comme un ensemble des valeurs, des principes, des normes et des règles à maintenir au sein d’une communauté scientifique pour promouvoir l’intégrité de la recherche scientifique7.
I.2. Principes et valeurs d’intégrité et d’éthique scientifiques
Dans l’activité de la recherche, les chercheurs sont soumis à plusieurs exigences qui servent de principes et valeurs de base censés orienter le comportement de ceux qui s’y consacrent. Parmi ces principes et valeurs, on peut épingler la rigueur, la prudence, l’indépendance, l’impartialité, la neutralité, l’honnêteté, la fiabilité, la vérifiabilité, la véracité et la responsabilité, etc.
I.2.1. Rigueur et prudence
La rigueur dans la recherche scientifique consiste pour le chercheur à appliquer avec une telle précision les règles généralement reconnues de la discipline. Agir avec rigueur, c’est vérifier si les outils que le chercheur s’apprête à utiliser sont adaptés au travail à entreprendre et prêts à être utilisés dans des conditions techniques optimales8.
Par contre, la prudence consiste pour le chercheur à agir avec prévoyance et précaution, à être guidé par le souci d’éviter de nuire à autrui, notamment à son image et à sa réputation. La prudence conduit le chercheur à être circonspect, à utiliser les mots et les expressions appropriés.
I.2.2. Fiabilité et vérifiabilité
La fiabilité pour le chercheur consiste à présenter son expertise, son travail et ses résultats le plus correctement possible aux fins d’éviter de la part des destinataires une idée trompeuse et surfaite de son travail9. Etre fiable, c’est susciter auprès des destinataires de la recherche un sentiment de confiance envers les résultats de ladite recherche.
La vérifiabilité, elle, consiste pour le chercheur de s’employer à donner des informations vérifiables aussi bien par d’autres chercheurs que par tout homme désireux de prouver leur véracité.
I.2.3. Indépendance, impartialité et neutralité
L’indépendance est une qualité indispensable pour le chercheur. Elle consiste à mener ses recherches en toute liberté, sans aucune influence et en publier également librement les résultats. L’indépendance s’oppose à toute directive venue de l’extérieur en vue d’orienter l’issue de la recherche, et bien entendu, les conclusions de celle-ci. L’indépendance n’exclut pas la collaboration avec les personnes et les instances extérieures.
Même quand il s’agit d’une recherche sur commande, elle doit être mise en œuvre sans interférence du commanditaire, dans la récolte des données, dans la rédaction du rapport et dans les résultats finaux.
L’impartialité est cette qualité du chercheur qui l’oblige à ne se laisser influencer par aucun sentiment personnel de préférence, de sympathie, ni par aucun préjugé susceptible d’entamer le degré d’objectivité dont doit faire preuve le chercheur. Certes les chercheurs ont droit à émettre aussi des opinions sur une situation, mais il leur est interdit de donner préférence à leurs opinions dans l’appréciation d’une situation objective, observable par quiconque.
La neutralité consiste, dans le chef du chercheur, à ne pas se laisser conduire par des penchants idéologiques et religieux. Le scientifique a pour mission d’observer, de décrire, d’expliquer les faits ou les situations, et non pas de les juger par rapport à ses convictions personnelles, qu’elles soient politiques, morales ou philosophiques10. Mais, le chercheur devra se garder d’être neutre face au péril qui menace la société dans laquelle il vit.11 Il ne pourra donc se résigner au nom d’une quelconque neutralité lorsque son peuple serait en train de souffrir du fait d’une gouvernance liberticide et autoritaire.
I.2.4. L’honnêteté et la responsabilité
L’honnêteté scientifique exige du chercheur une rigueur tous azimuts dans l’activité de la recherche. Elle prohibe toute tricherie dans l’exercice de l’art de la recherche, notamment par le plagiat qui passe pour un crime contre la recherche scientifique. En effet, un chercheur malhonnête est celui qui use volontairement ou involontairement du plagiat, en faisant passer pour siens des idées, des phrases et extraits entiers d’un autre chercheur. En matière de recherche scientifique, le plagiat est un acte gravissime qui déshonore non seulement le chercheur coupable mais l’institution dont il relève. C’est une pratique contraire à l’intégrité et à l’éthique scientifiques.
La responsabilité consiste pour le chercheur de répondre de son activité devant la communauté à laquelle il destine les résultats de sa recherche. La responsabilité prévient ainsi le chercheur de lourdes conséquences qu’il encourt à travers les idées qu’il diffuse et par conséquent à user de la prudence, de la circonspection et de la retenue dans la prise de position, pour ne pas se disqualifier dans l’opinion.
I.3. Les tares perceptibles dans l’activité scientifique de l’Université de Kinshasa
L’activité scientifique à l’université de Kinshasa est de nos jours truffée de nombreuses tares dont quelques unes peuvent ici faire l’objet d’analyse et de discussion. On peut, à titre d’exemple, indexer la recherche scientifique instrumentalisée par le pouvoir politique ; les travaux académiques clés-à-mains ; le recours délibéré au plagiat ; le monnayage du processus de publication des travaux scientifiques ; les activités scientifiques à coloration politique et ethnico-régionale, la recherche scientifique de circonstance, etc.
I.3.1. La recherche scientifique instrumentalisée par le pouvoir politique
La recherche scientifique effectuée dans une université contribue également à la consolidation de la communauté universitaire, dans ce sens que les collègues dans la recherche finissent par partager entre eux un sentiment de sympathie, sympathie dans la mesure où ils s’habituent à endurer ensemble, à discuter et à débattre sur des questions importantes de la société, à organiser des forums, des conférences et colloques ensemble, voire à effectuer des voyages à finalité scientifique. Bref, cette complicité qui nait entre eux finit par les unir dans ce que l’on appelle « communauté des chercheurs ».
A l’Université de Kinshasa, notre Alma mater, cet esprit scientifique et communautaire se raréfie davantage, tant l’influence de la politique sur les activités de recherche a fini par diviser la communauté des chercheurs en deux, où d’un côte se trouvent les « chercheurs du gouvernement » et de l’autre les « chercheurs de l’université » considérés par les premiers, à tort ou à raison, comme étant acquis à la cause de l’opposition. Surtout lorsque les réflexions produites touchent au domaine socio-économique et politique, cette fracture manichéiste est forcement remarquable parmi les universitaires.
En effet, aux « chercheurs du gouvernement », celui-ci peut exiger la production des ouvrages ou l’organisation des conférences dont la finalité est d’obtenir un résultat politiquement favorable au pouvoir. De tels ouvrages politiquement commandés ont été produits en République Démocratique du Congo ces dernières années pour venir à la rescousse d’un pouvoir confronté à la contestation politique et sociale du fait soit de la violation massive des droits de l’homme soit du fait de la perte de légitimité politique. Des conférences politiquement orientées ont également été organisées récemment pour soutenir telle ou telle autre opinion scientifique susceptible de servir d’argument à tel plan concocté par le pouvoir en place.
I.3.2. Les travaux académiques clés-à-main
La recherche scientifique est un art qui s’apprend au prix de l’effort et de l’exercice. Toute personne qui passe par l’université est censée apprendre à faire de la recherche, même si elle n’a pas vocation à faire de celle-ci sa profession de la vie. Cet apprentissage commence par les travaux académiques auxquels sont soumis les étudiants à quelque niveau qu’ils se trouvent.
Le constat malheureux à l’Université de Kinshasa est que la rédaction des travaux académiques est aujourd’hui une tache ardue pour la plupart d’étudiants astreints à cet exercice pour la sanction finale de leur parcours universitaire au premier, au deuxième voire au troisième cycle. Loin de s’employer personnellement à collecter les données de la recherche et à les traiter après coup, certains étudiants recourent carrément au service d’un expert qui rédige entièrement tout le travail de fin de cycle en lieu et place de l’étudiant qui, lui, n’a pour seule obligation que de payer la prestation de l’expert. Cette pratique est également observable au plus haut niveau de doctorat où des doctorants prétendant ne pas avoir assez de temps pour rédiger eux-mêmes leurs thèses ou leurs mémoires de DEA, recourent au service soit du promoteur lui-même soit à celui d’un groupe de chercheurs recrutés pour le besoin de la cause. Quitte au récipiendaire attitré de payer les honoraires convenus aux chercheurs recrutés à cet effet.
Au niveau de deux premiers cycles, en l’occurrence le graduat et la licence, cette pratique s’est développée dans certaines institutions universitaires où des travaux déjà défendus dans une université sont in extenso repris et présentés dans une autre, sans aucune difficulté, en prenant la précaution de changer uniquement la page de garde et la page des remerciements.
La pratique des travaux académiques clés-à-mains contribuent énormément à la dégringolade de l’université de Kinshasa et à la perte de son rayonnement international par la recherche scientifique.
I.3.3. Le recours délibéré au plagiat
Le plagiat est une pratique consistant pour un chercheur à s’approprier les idées ou les œuvres d’autrui pour un usage personnel. Il s’agit d’une copie servile, délibéré ou involontaire à laquelle s’emploie le plagiaire pour construire son raisonnement, malheureusement avec les idées d’autrui. La forme la plus évidente du plagiat est la copie littérale de tout ou partie de l’œuvre d’autrui sans indication de la source et de son auteur.12
A l’Université de Kinshasa, la pratique de plagiat est aujourd’hui banalisée, voire tolérée alors qu’en réalité le coupable d’une telle malhonnêteté n’a pas sa place à l’université13. Le plagiat est un crime contre la science et la recherche scientifique et il est intolérable par la communauté des chercheurs et par l’université. En effet, le plagiat déshonore et le plagiaire et son université de provenance. C’est pourquoi, il y a quelques années, un ministre du gouvernement allemand a été jugé indigne d’assumer cette fonction dès lors que le plagiat qu’il avait pourtant commis plusieurs années auparavant, à l’occasion de la rédaction de sa thèse, avait été révélé au grand jour. Il fut poussé à la démission du gouvernement et son université lui retira le grade de docteur qu’elle lui avait de bonne foi décerné.
L’impression que nous avons aujourd’hui est que le plagiat n’émeut ni ne révolte pas la communauté universitaire congolaise. On entend parler du plagiat dans les institutions publiques (plagiat d’un projet ou proposition de loi, plagiat d’un programme gouvernemental) tout comme dans les facultés (plagiat des articles, des travaux de fin de cycle, des thèses, des manuels de cours, etc) sans que cela entraine des conséquences pratiques, conformément à la déontologie scientifique. On pense même que dénoncer et punir le plagiat constitue un mal qu’on infligerait à un collègue de la maison. La fragrance même d’une œuvre entièrement copiée ne révolte pas la conscience collective des universitaires ; on tolère le plagiaire au point que, pour n’avoir pas été sanctionné, il est prêt à récidiver.
Aucune université ne peut internationalement rayonner lorsqu’elle tolère une pratique aussi bien déshonorante que médiocre qu’est le plagiat. Peut-être qu’on ne s’en rend pas compte, le plagiat est une tricherie, un vol susceptible de sanction exemplaire. La RDC devrait se doter d’une législation spécialisée pour la répression du plagiat. En parcourant la loi-cadre sur l’enseignement national en RDC14, le titre IV consacré à la recherche dans les établissements d’enseignement supérieur et universitaire ne mentionne rien du tout quant aux sanctions en matière de recherche. Peut-être le législateur a-t-il laissé cette question aux bons soins du pouvoir réglementaire à qui il confié la compétence de légiférer sur l’organisation et la gestion de la recherche dans les établissements d’enseignement supérieur et universitaire15. Cependant, le titre V qui organise le régime disciplinaire contient un chapitre unique consacré aux infractions et sanctions en matière d’enseignement, alors qu’il n’en est rien en matière de recherche. Ce qui aurait dû être logique ne fût-ce que du point de vue légistique. Quoiqu’il en soit, il est impérieux que l’activité de recherche soit encadrée par un dispositif juridique répressif approprié.
I.3.4. Le monnayage du processus de publication dans les revues scientifiques
La publication des résultats de la recherche devrait être encouragée comme sous d’autres cieux. En effet, les revues scientifiques sérieuses réservent toujours une collation dont la finalité est d’encourager le chercheur qui a consacré de ses énergies et temps pour la production scientifique, au bénéfice de la société en général et du rayonnement de son université en particulier. La pratique consistant à conditionner la publication d’un article scientifique au paiement préalable d’une somme d’argent n’est pas de nature à encourager la recherche, surtout une recherche éprouvée par la rigueur des règles de l’art.
Déjà, il faut noter que la recherche scientifique n’est pas financée par les pouvoirs publics en RDC ; soumettre ceux qui tentent de s’y adonner à des contraintes d’argent ne me semble pas moralement bien. En plus, cette pratique impacte forcement la rigueur scientifique requise dans le processus d’évaluation de telles œuvres. En effet, lorsqu’un chercheur sait qu’il a dû payer de l’argent à une revue pour assurer la publication de son article, il pourra ne pas user de toute la rigueur scientifique dans la rédaction. De son côté, l’éditeur sera naturellement influencé et tolérera les manquements et lacunes dont sera entaché ledit article.
Seule la qualité d’un article devrait servir de critère d’appréciation préalable à la publication dans une revue scientifique. Procéder autrement, comme c’est le cas à l’Université de Kinshasa et dans certains centres de recherche qu’elle abrite, c’est entamer la valeur des recherches menées et même celle des publications scientifiques.
I.3.5. Les activités scientifiques à coloration politique et ethnico-régionale
La plupart d’activités scientifiques du genre conférences, colloques ou journées scientifiques organisées dans certaines universités finissent par afficher une coloration soit politique, soit ethnico-régionale. A travers des activités purement scientifiques, on décèle une empreinte d’un acteur politique grâce au financement apporté à l’organisation de l’activité ; on y découvre l’influence de la coterie qui aura joué dans la sélection soit des conférenciers soit du secrétariat technique chargé de rédiger le rapport final. Il suffit d’une particulière attention pour découvrir dans l’équipe préparatoire de la conférence ou du colloque les proches de l’organisateur appelés en concours non pas sur la base de leur compétence mais sur la base d’éléments purement subjectifs (affinité politique, affinité régionale ou ethnique), parce qu’on se dit qu’il faut soutenir l’organisateur de la manifestation qui est de nôtre et rien de plus.
Au lieu d’être ce lieu qui fédère les compétences et les intelligences, l’université de Kinshasa est devenue un lieu des luttes partisanes, ethnico-régionales et sectaires16. C’est pourquoi, les initiatives des collègues sont dénigrées voire purement et simplement boycottées par d’autres parce que ne partageant pas les mêmes points de vue scientifique, la même philosophie ou vision politique des choses, la même religion ou secte mystico[1]religieuse. Dans cette lutte dont la plupart de temps les mobiles sont obscurs, les protagonistes entrainent aveuglement leurs complices scientifiques, familiaux et ethnico[1]régionaux pour amplifier voire perpétuer les divergences, les oppositions et les inimitiés. Un tel contexte ne peut que reléguer à l’arrière plan la mission principale de la recherche scientifique, celle d’être le moteur de développement et de la transformation de la société17. Une telle université ne peut scientifiquement rayonner et impulser le développement national par son activité de recherche que si elle passe de la médiocrité à l’excellence18.
I.3.6. La recherche scientifique de circonstance
La recherche scientifique à l’Université de Kinshasa se fait circonstanciellement, elle ne constitue plus l’âme de l’université. L’enseignement occupe plus de temps que ne devrait occuper la recherche. C’est la recherche qui devrait occuper l’essentiel du temps des universitaires et donner ainsi à l’enseignement toute sa consistance parce que fondée sur des connaissances nouvelles fournies par les travaux de recherche. C’est dire que si un enseignement n’est pas sous-tendu par la recherche, il sera dépassé par l’évolution de la science et donc dénué de toute pertinence et qualité.
La recherche scientifique à l’Université de Kinshasa est souvent dictée par des circonstances et des nécessités passagères. Pour les étudiants, la recherche est menée avec engagement et détermination les années terminales, lorsqu’il faut rédiger des travaux de fin de cycle ou de fin d’études ou encore lorsqu’il faut présenter un séminaire, encore que le programme de plusieurs filières alignent des séminaires uniquement les années terminales du premier et du deuxième cycles. Pour les cadres scientifiques, c’est-à-dire les assistants et chefs des travaux, la recherche est menée avec assiduité lorsqu’il faut prétendre à une promotion dans la carrière ; en dehors de cette période, la recherche ne constitue pas une priorité ou une occupation journalière des scientifiques. La même inclinaison est vérifiable chez les professeurs qui, s’ils ne publient pas pour solliciter une promotion en grade, ils le font à l’occasion des journées scientifiques organisées occasionnellement par les facultés dont ils relèvent. L’activité de recherche ne fait donc pas partie du quotidien des membres de la communauté universitaire de notre Alma mater.
- Quelques recommandations pour y remédier
En guise de recommandations, il importe que les universitaires congolais, en particulier ceux de l’Université de Kinshasa, prennent conscience du rôle combien capital de la recherche scientifique dans le développement des nations. Car aucune nation de ce monde est parvenue au développement sans le concours de la recherche scientifique. Il faut pour cela prendre la mesure des défis auxquels la RDC et son université sont confrontées.
Concrètement, nous pensons qu’il est urgent pour l’Etat congolais de revaloriser la recherche scientifique par une allocation budgétaire conséquente ; de reconnaitre les mérites et les performances des chercheurs qui se distinguent à une certaine période ; de mettre en place un cadre juridique susceptible de sanctionner les mauvaises pratiques ou les carences dans le domaine de la recherche.
II.1. La revalorisation budgétaire du secteur de la recherche scientifique
La revalorisation de la recherche par l’Etat ne pourra se faire que par une allocation d’un budget important au secteur prioritaire de l’éducation et de la recherche. En effet, si les chercheurs peuvent recevoir un financement conséquent pour mener leurs recherches dans les universités et centres de recherches, ils pourront attacher à cette activité la valeur qu’elle mérite et ils pourront, eux, se contenter de cette activité en y consacrant le temps qu’il faut.
La recherche scientifique mérite de recevoir un budget colossal, car c’est grâce à elle que le pays peut se développer. C’est la recherche qui fournit aux décideurs les informations, les connaissances dont ils ont besoin pour prendre de bonnes décisions, mettre sur pied des politiques publiques susceptibles de répondre aux désidérata de la population. Si les chercheurs peuvent vivre dignement grâce au financement qu’ils reçoivent de l’Etat, non seulement ils feront un travail de qualité, mais aussi ils pourront revaloriser l’université et la recherche scientifique en refusant d’être des lèche-bottes des politiques.
II.2. La reconnaissance des mérites et des performances des chercheurs
Sous d’autres cieux, la recherche scientifique est primée lorsqu’elle est faite avec compétence et aboutit à des résultats incontestés et utiles pour une société donnée, à une période donnée. Les performances réalisées dans un domaine de recherche quelconque par un chercheur font gratifier ce dernier d’une récompense. Celle-ci peut être de nature morale ou intellectuelle mais aussi de nature matérielle ou financière.
Cette culture de récompense des mérites et des performances intellectuelles a complètement disparu des universités congolaises, voire de l’Etat bénéficiaire attitré des résultats de recherche. Si cette pratique est réhabilitée en RDC, elle va sans aucun doute revaloriser la recherche scientifique et les chercheurs, en les épargnant du ridicule qu’ils vivent aujourd’hui pour mériter le respect qui leur est dû.
II.3. La nécessité d’une législation sanctionnatrice des mauvaises pratiques
Le métier de chercheur est un métier noble ; il ne doit en aucun cas être déshonoré impunément. Autant il y a des sanctions pénales correspondant aux infractions en matière d’enseignement, il doit y en avoir également en matière de recherche. La pratique honteuse du plagiat qui a élu domicile de Kinshasa et qui n’épargnent ni les professeurs ni les étudiants, devrait trouver une réponse efficace en termes de sanction pour être bannie. La sanction ne devrait pas uniquement consister aux blâmes ou à la dénonciation sans conséquence aucune sur le plan administratif, scientifique et même sur le plan pénal. Le mal ayant atteint un degré élevé de gravité, il faut lui chercher des remèdes aussi efficaces que les simples dénonciations et blâmes. Ailleurs, on sanctionne le plagiat par le retrait du grade ou du diplôme dont le plagiaire était détenteur outre une sanction sociale d’interdiction de briguer certaines fonctions publiques. Nous plaidons, quant à nous, pour une sanction pénale outre ces autres sanctions qui peinent d’ailleurs à être appliquées à l’Université de Kinshasa.
II.4. La promotion et le respect du code de déontologie de la recherche scientifique
La recherche scientifique est fondée sur les principes et valeurs que tout professionnel est censé observer. Ces principes et valeurs ont été ci-haut évoqués et relèvent de l’intégrité et de l’éthique de la recherche scientifique. Les chercheurs professionnels et non professionnels doivent s’y adapter pour mener une activité scientifique digne et honorable. Pour cela, nous suggérons qu’à l’Université de Kinshasa et dans ses centres de recherche, et même dans tous les autres milieux de recherche, le code d’éthique et de déontologie soit signé sous serment par les chercheurs qui devraient s’engager à le respecter.
Conclusion
La recherche scientifique à l’Université de Kinshasa a perdu son prestige. Elle n’attire pas les jeunes et ceux qui la pratiquent ne respectent généralement pas les règles de sa déontologie, ils versent en conséquence dans les pratiques honteuses, médiocres et déshonorantes. Loin d’impulser le développement, la recherche scientifique à l’Université de Kinshasa est au service de la médiocrité, tant elle est pour la plupart de temps sous le contrôle du politique qui s’en sert pour des fins égoïstes, généralement pour le maintien du statu quo.
La recherche scientifique doit retrouver sa noble place, en la débarrassant des mauvaises pratiques pour qu’elle joue de nouveau son rôle d’impulsion du développement. La recherche scientifique ne peut en aucun cas servir la médiocrité ; elle est faite, au contraire, pour être au service de l’excellence.
Par Paulin PUNGA KUMAKINGA
Assistant à la Faculté de Droit Université de Kinshasa Chercheur au CREEDA et Membre du CODESRIA
Source: www.creeda-rdc.org
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Cette communication est une version remaniée d’une conférence donnée par l’auteur à l’Université Kimbanguiste le 18 mai 2018 dont l’intitulé était : La recherche scientifique dans les Universités congolaises. Regard sur les pratiques médiocres et déshonorantes. 2. D’après Kennedy Kihangi Bindu, l’université se conçoit comme le haut lieu du savoir académique, de la recherche scientifique et technologique. Un haut lieu du savoir supposé vrai et qui s’avère être par définition, le berceau de la science et des consciences pour le développement quantitatif et qualitatif, performant, innovateur et optimum d’une communauté donnée prise dans sa globalité. Lire ceci dans Kihangi Bindu, K., « Université et société : quelles perspectives pour la République Démocratique du Congo ? », Revue africaine de la Démocratie et de la Gouvernance, volume 4, numéros 3 et 4, 2017, p.247. 3. Lire avec intérêt Ndiaye, A.(dir), Chercheurs et décideurs d’Afrique. Quelles synergies pour le développement ?, Dakar-Ottawa, Codesria-Crdi, 2009, 90p. 4. Shomba Kinyamba, S., Les stigmates de l’hypo-nivellement en sciences sociales. Esquisse d’une théorie, Kinshasa, PUK, 2017. 5. Ka Mana, Réimaginer l’éducation de la jeunesse africaine. Idées directrices et orientations fondamentales, Goma-Yaoundé, Pole Institute-AIS éditions, 2013, p.86. 6. Kisangani Endanda, S., Intégrité scientifique et éthique de la recherche scientifique, séminaire de formation méthodologique organisé à l’intention des doctorants par l’ARES et l’Université de Kinshasa, du 23 au 28 mai 2016, p.3. 7. Kisangani Endanda, S., op.cit.,p.3. 8. Idem, p.7. 9. Idem, p.8. 10. Kisangani Endanda, S., op.cit., p.11. 11. Tel a été le sens de la conférence organisée par l’Institut pour la Démocratie, la Gouvernance, la Paix et le Développement en Afrique(IDGPA) à Kinshasa, du 28 au 30 aout 2017 sur le thème « Responsabilité sociale des universitaires dans une nation en péril ». 12. Kisangani Endanda, S., op.cit., p.15. 13. Idem. 14. Loi-cadre n°14/004 du 11 février 2014 de l’enseignement national, Journal officiel de la République démocratique du Congo, 55ème année, numéro spécial, Kinshasa, 19 février 2014, p.60. 15. Article 221 de la loi-cadre n°14/004 du 11 février 2014, op.cit., p.60 16. Lire dans ce sens Shomba Kinyamba, S., Université de Kinshasa : un site académique ou une « colline » d’enjeux de luttes ? Pour une sociologie de l’université congolaise, Kinshasa, MES, 2008. 17. Article 218, al. 1er et 2 de la loi-cadre du 11 février 2014, op.cit. 18. Njoh-Mouelle, E., De la médiocrité à l’excellence. Essai sur la signification humaine du développement, 3ème éd., Yaoundé, Editions CLE, 1998.