Le Professeur Godefroid Mwamba s’exprime sur la place de la Commission Vérité et Réconciliation en RDC
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LA JUSTICE TRANSITIONNELLE EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO. Quelle place pour la Commission Vérité et Réconciliation ? C’est le titre d’un ouvrage publié aux Editions Le Harmattan, en 2016, par le Professeur Godefroid Mwamba Matanzi de l’Université de Kinshasa. Il nous donne ici un résumé de cet ouvrage.
La justice transitionnelle est sans juges ni tribunaux ; mais grâce à elle, les sociétés démocratiques apprennent à affronter la part sombre de leur histoire. Ses objectifs ultimes consistent à faire la vérité sur les sales guerres menées par les princes contre leur population pour se donner une chance de reconstruire une société plus juste et plus équitable. La RD Congo post-conflit en use au cours de sa transition politique issue de l’Accord Global et Inclusif de Sun City. L’idée de mettre en place une Commission Vérité Réconciliation procédait de la nature particulièrement délicate de la gestion de l’après-guerre en RD Congo en termes de paix. Cette gestion obligeait à regarder, en les repensant, les expériences des autres peuples, en même temps qu’elle exigeait des autorités de la transition un réel sens de justice et surtout une vraie capacité de panser toutes sortes de blessures et de plaies dues aux affres d’un tel contexte.
Sans prétendre se constituer en une solution idéale dans la quête des stratégies susceptibles de déboucher sur le processus de réconciliation dans les Etats post-conflit, la justice transitionnelle imaginée par le génie mondial du XXème siècle, semble, de plus en plus, se tailler de l’audience et prendre de l’ampleur. A ce jour, une trentaine de ces institutions ont été expérimentées à travers le monde parmi lesquelles on compte la C.V.R. de la R.D. Congo.
Au-delà de leurs caractéristiques communes, ces diverses expériences cumulées ont, chacune à sa manière, contribuée à la réalisation des modèles institutionnels typiques mis en œuvre et à la systématisation de cette théorie nouvelle chevauchant entre ce qui devait être (le droit) et ce qui est (le fait). Tel est le cas de la C.V.R. instituée pendant la transition en R.D. Congo à l’issue du Dialogue Inter-Congolais, C.V.R. sur laquelle s’arc-boute cette analyse pour laquelle, la préoccupation centrale a consisté à évaluer l’apport de l’expérience de la C.V.R. congolaise à la construction de la théorie de la justice transitionnelle. Pour ce faire, il a fallu inévitablement partir des réalisations, mais aussi des limites perceptibles de cette juridiction avant de dire si ce fut un succès ou un échec.
Cependant, en amont, notre réflexion était guidée par une hypothèse fondée sur une opinion très répandue selon laquelle la C.V.R. Congolaise fut un fiasco ; Son action se serait soldée par un échec et donc, sa contribution dans la théorie sur la justice transitionnelle serait nulle. On justifie cet échec par le manque de volonté politique au niveau national, la défaillance des institutions étatiques de la transition, le manque des textes légaux, l’absence des conditions sécuritaires, le manque d’appropriation de la commission par la population, etc[1].
En effet, même s’il était possible de parler de l’échec de la CVR dans la mesure où son action de plus trois ans de suite a manqué d’éclat et d’impact visibles par rapport à la mission lui assignée, la raison de fond en a été plutôt l’insuffisance et surtout la mauvaise gestion des ressources et plus particulièrement la ressource humaine qui, au bout de compte devait impulser les autres ressources. Car, les expériences qui ont porté les signes de réussite comme l’expérience sud-africaine, ont démontré que le rôle des animateurs (leader principal) a été très déterminant.
Il s’ensuit que l’apport de la C.V.R. Congolaise à la théorie de la justice transitionnelle se résume dans les précautions à prendre en termes de prévisions en qualité, en quantité et en gestion des ressources d’une part et, en termes de volonté politique aussi bien nationale qu’internationale devant impulser l’action, d’autre part.
A l’issue de l’analyse, il s’est révélé certainement que le constat d’échec établi pour le compte de la C.V.R. Congolaise au regard de la mission lui assignée demeure un fait indéniable, mais tout aussi prévisible et même programmé. L’analyse a clairement établi que la C.V.R. congolaise était une Commission minée dès sa création, par les politiciens – rebelles et des acteurs d’une Communauté Internationale conduite, d’abord et avant tout, par leurs intérêts personnels, une Commission dépourvue de moyens matériels et financiers pour laquelle il a fallu quémander et même mendier et dont ceux disponibles ont été mal gérés par elle-même, une Commission limitée dans le temps face à l’immensité de la mission à accomplir et à l’inféodation des ressources humaines à leur origine politique, et dont le personnage central était pourvu en tout, sauf de capacités managériales, une Commission qui ne pouvait qu’être d’avance vouée à l’échec.
Craignant, sous divers prétextes, de prendre le risque de toucher à l’essentiel, elle s’est occupée de l’accessoire, c’est-à-dire, des ‘‘missions additionnelles’’ pour justifier à la fois son existence et la dilapidation des peu de ressources (financières, matérielles, humaines, temporelles) reçues, de finalement réclamer, a corps et à cri, sa reconduction post-transition. Aucune enquête n’a été amorcée pour justifier sa volonté de rechercher la vérité, aucune audience entamée pour sous-tendre la justice et la réparation des dommages et éventuellement passer aux amnisties qualifiées pour ainsi se soustraire de la consécration de l’impunité reprochée aux C.V.R., en général. Dans ce contexte, aucune cérémonie et aucun rite de réconciliation n’a pu être organisés.
Tout le monde le dit, tout le monde le sait, à tort ou à raison, la C.V.R. Congolaise a été une institution tout simplement budgétivore, c’est-à-dire, une institution de trop pendant la transition. Cependant, la noblesse de sa mission demeure et persiste. Son institution après la transition est donc le vœu de tous ; mais sa reconduction, c’est-à-dire, son institution dans sa formule de transition, doit être écartée parce qu’elle a déçu toutes les attentes. Car, une C.V.R. réussie aurait épargné la République de la béance laissée par la prise en otage de la justice transitionnelle qui, du reste, nous rattrape avec des faits concrets comme les arrestations répétées et en perspective des Congolais à la CPI alors que d’autres courent en liberté au pays et que les déboires des programmes sans issue parmi lesquels figure le projet « Amani », sans compter la résurgence des rebellions qui ne font que changer des dénominations selon les besoins et les circonstances.
Cependant, le rétablissement de la C.V.R. en RDC, le cas échéant, requiert des préalables sous-tendus par la double volonté politique et l’autonomie des ressources en termes de gestion, en quantité et en qualité avec un accent très particulier placé sur la ressource humaine. Ces préalables dont certains sont, d’emblée connus en ce qui concerne la C.V.R. Congolaise, conditionnent l’atterrissage en douceur d’un processus de justice transitionnelle, garantie par une autonomie effective et tenant compte des spécificités des Etats mis en cause. Un tel processus ne peut être limité ni par les aléas politiques, ni par la précarité des ressources en quantité comme en qualité, ni par les temps, car son objectif (la vérité et la réconciliation nationale) et sa motivation (l’inhérence du conflit) s’imposent à tous au sein de la société. Cela étant, la problématique finale que suscite cette étude porte sur les possibilités d’envisager l’institutionnalisation dans les Etats, essentiellement ceux post-conflit, d’un cadre permanent de justice transitionnelle au même titre que le Gouvernement, le Parlement, les cours et tribunaux.
Professeur Godefroid Mwamba
[1] Martien Schotsmans, Op. Cit., p.227.