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Le Prof Bobo B. Kabungu publie une étude intitulée « les facteurs déterminants du vote en contexte Congolais»

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Le Directeur scientifique du Centre de Recherche en Sciences Humaines (CRESH), le Professeur Bobo B. KABUNGU a publié une étude menée du 22 au 24 décembre 2023 à Kinshasa, intitulée «les facteurs déterminants du vote en contexte Congolais». L’économie influence-t-elle le choix électoral du fonctionnaire ? »

Les facteurs déterminants du vote : du général au particulier

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, si pas plus tôt, le choix électoral intéresse les chercheurs. Lazarsfeld et al. (1948) faisaient déjà observer, il y a de cela près de soixante-quinze ans, qu’un électeur pense politiquement comme il est socialement, le vote n’étant qu’une transposition de la position sociale du votant. « Ainsi, commente LUCCHESI, le statut socioéconomique, la religion, le lieu de résidence sont des déterminants sociaux du vote. Par exemple, Lazarsfeld montre qu’aux Etats-Unis, il est plus probable que le vote soit pro-républicain quand l’électorat est constitué de citoyens vivant à la campagne et protestants ». Au final, la campagne électorale aurait un rôle mitigé. Elle ne ferait que renforcer des prédispositions et souvent, elle ne serait qu’incitative sans modifier fondamentalement les orientations des électeurs.

Depuis les années 1980, plusieurs auteurs, essentiellement occidentaux, se sont appesantis sur les motivations des penchants électoraux en Europe et en Amérique, avec un point d’honneur réservé à l’économie. Ils démontrent qu’existe un lien significatif entre la performance de l’économie captée par des indicateurs objectifs (taux de chômage, de croissance économique, d’inflation…) au cours de l’exercice précédant l’organisation du scrutin (présidentiel) et les voix au profit ou non du gouvernement sortant. Ils mettent aussi en lumière l’importance de la perception de l’économie par les votants, un bon bilan économique mal présenté et/ou mal défendu pouvant s’avérer contreproductif. Sur le plan empirique, les enquêtes électorales en Amérique du Nord révèlent que, d’une part, les perceptions économiques dépendent, en partie, des préférences politiques des électeurs et que, d’autre part, l’évaluation de l’économie par l’électeur peut être rétrospective (critique du bilan économique du gouvernement sortant) ou prospective (tournée vers les retombées éventuelles des politiques suggérées par les compétiteurs).

En RDC, Aladi SENGE MILEMBA, analysant les élections de 2006 et 2011, est d’avis que les préférences électorales sont davantage déterminées par les avances que les politiciens font aux électeurs ainsi que par la solidarité identitaire pour renforcer la visibilité du groupe social auquel ces derniers appartiennent. La présente réflexion voudrait contribuer au débat, en apportant une modeste contribution tirée d’une enquête menée dans le milieu des agents et fonctionnaires de l’Etat, sur la base du comportement électoral de cette frange de la population durant les scrutins de 2018 et de 2023.

Matériel, terrain et méthode

Afin d’interroger la population concernée par la présente étude, soit environ 1.350.000 agents et fonctionnaires de l’Etat disséminés à travers le pays, un échantillon de 385 individus a été retenu, avec une marge d’erreur de 5,0 %. Le taux de réponse ayant été estimé à 50,0 %, 770 questionnaires ont été administrés, via des appels téléphoniques. Pour une collecte de données aisée, la méthode appropriée a consisté en la triangulation des échantillonnages de commodité (ou de convenance), au jugé (ou raisonné) et par quotas. Il s’agit donc d’une méthode non aléatoire (ou non probabiliste). Ainsi, les individus interrogés (i) au hasard, suivant leur disposition à répondre, (ii) en divisant la population par segment suivant le grade (personnel d’exécution, cadre de commandement, cadre de direction) et (iii) en retenant des parts égales de la population (urbaine ou rurale). Il est à signaler que les contacts téléphoniques ont été tirés d’une base de données conçue par le Secrétariat Technique du Comité de Suivi de la Paie en 2020.

Après un bref aperçu sur l’intérêt de l’enquête, les questions se rapportaient essentiellement aux déterminants (anthropologiques, sociaux, politiques et économiques) pondérés du choix électoral. Les personnes interrogées devraient donner des notes aux différentes assertions dont le total devrait donner 100 %. À  la fin, une moyenne des notes devrait être dégagée.

Résultats

L’enquête effectuée du 22 au 24 décembre 2023 a permis de parvenir aux résultats ci-après :

  • une note de 15,0 % a été accordée à l’assertion « position sociale et perspectives de l’évolution de la carrière personnelle de l’électeur », le fonctionnaire votant estimant que sa situation individuelle présente et à venir est prépondérante dans son choix ;
  • une moyenne de 13,0 % a été donné à l’assertion « rapprochement tribal ou linguistique », au regard de la persistance de la fibre géopolitique dans les préférences électorales. Nombreux ont affirmé voter en fonction des origines du candidat (ou de l’un de ses proches) qui peut influencer leur devenir ;
  • la ligne « augmentation salariale significative récente » a reçu un poids de 11,0 %, au vu de l’intérêt du fonctionnaire pour ses conditions de travail qui demeurent précaires. Toute amélioration (fut-elle nominale) est, de ce fait, considérée comme salvatrice et profite au gouvernement sortant ;
  • 11,0 % est la cote réservée au point relatif à l’ « espoir en la capacité transformationnelle de la société par le leader » ;
  • 9,0 % est la note attribuée à la perception de la conjoncture économique et sociale passée. Si elle est jugée favorable, le vote sera en faveur au pouvoir en place. Si elle est perçue comme défavorable, le choix sera une sanction ;
  • l’ « implication démontrée d’un candidat à rétablir ou à garantir la paix et l’intégrité territoriale » a été évaluée à hauteur de 8,0 %. C’est dire combien la question de la paix préoccupe la population sous revue, quoi que la pondération de cette assertion ne vienne pas en tête de liste ;
  • la « loyauté au parti ou au regroupement politique » a reçu la note moyenne de 8,0 %. Ceci indique qu’il y a une part de la population interrogée qui suit le « mot d’ordre » de l’ « autorité morale » de l’association politique dont elle se reconnaît membre. Opter pour un candidat différent de celui du parti serait synonyme de trahison ;
  • une moyenne de 6,0 % a été attribuée aux « traits caractéristiques personnels du candidat ». Il s’agit, selon le cas, de sa convivialité, de son charisme, de son attention aux problèmes du peuple, etc. ;
  • la qualité de la campagne médiatique et la présence du candidat sur le terrain ont reçu une note moyenne de 5,0 %. Les médias ont donc un rôle, quoi que peu prépondérant, dans l’orientation du vote et ce, principalement des électeurs indécis ou sans coloration politique affirmée. Par ailleurs, le déplacement d’un candidat vers son électorat est susceptible d’encourager la population à faire le déplacement le jour du scrutin ;
  • la cohérence du projet de société et la pertinence du programme proposé n’ont obtenu qu’une moyenne de 3,0 %, les agents et fonctionnaires de l’Etat interrogés ne connaissant pas (ou que très peu) les grands traits de l’offre politique des candidats. Et ceux qui y ont accès attribuent à cette assertion très peu de crédit car, pour eux, les promesses électorales ne sont généralement pas tenues au regard des pesanteurs du pouvoir ;
  • 2,0 % est la note moyenne attribuée au rapprochement idéologique, les personnes interrogées affirmant que les partis politiques en RDC se classeraient difficilement, dans les faits, suivant leurs idéologies déclarées ;
  • la rubrique « autres » a, quant à elle, reçu une note de 9,0 % qui montre bien que d’autres déterminants n’ont pas été captés de manière explicite.

Discussion conclusive

Cette réflexion est un projet d’article en cours de finalisation. Elle est partie des considérations théoriques et empiriques sur l’importance des questions économiques (et sociales) dans l’orientation des choix électoraux pour en vérifier l’évidence en contexte congolais. Que suggèrent les résultats ?

Primo, les considérations individuelles l’emportent sur les retombées collectives du vote. Le fonctionnaire élit le candidat qui sera favorable à l’amélioration de sa situation personnelle (39,0 %), en comptant premièrement sur son penchant tribal, linguistique ou amical, à l’origine de sa position sociale actuelle ou attendue, y compris son revenu.

Secundo, l’agent ou le fonctionnaire de l’Etat tient aussi compte de l’évolution sociétale du pays car la macro influence la micro. En effet, un poids global de 28,0% est réservé à la capacité transformationnelle de la société, à la conjoncture économique et à la paix.

Tertio, il analyse le potentiel managérial du compétiteur politique dont le poids global est de 14,0 % (caractère personnel, campagne et cohérence du projet du candidat).

Quarto, il est influencé par son appartenance politique, sa loyauté vis-à-vis du parti et son inclinaison idéologique ayant une importance relative mais significative (10,0 %). Une attention particulière à l’économie permet de souligner, autant que l’on dit Nadeau et al. (1994), que plusieurs facteurs déterminants du vote en RDC (à concurrence de 35,0 % : position sociale et carrière, augmentation salariale et conjoncture) s’y rapportent. Parmi ces facteurs économiques, la majorité est d’ordre rétrospectif (avec une note globale de 20,0 %), le reste (15,0 %) étant prospectif comme le suggère Luches.

Quant aux autres facteurs, le rapprochement tribalo-linguistique mis en exergue dans cette étude rejoint Aladi S’enge Mil Emba qui évoque la solidarité identitaire au Congo. Cependant, les sollicitations de la part des politiciens n’ont pas (ou plus) la même considération, probablement du fait de l’expérience acquise de la population congolaise. En définitive, la campagne n’est qu’incitative comme le soulignaient Lazarsfeld et les autres, scrutent le scrutin présidentiel aux États-Unis.

Cette analyse aura atteint un de ses objectifs si elle poussait les politicologues, les sociologues, les juristes, les anthropologues, etc., à pénétrer les aspects peu ou non abordés et à éclairer, d’un nouveau jour, les éventuelles zones d’ombre qui demeurent. En attendant, le CRESH qui envisage d’organiser une conférence sous le titre « Course à la présidence en RDC. Entre unicité idéologique et pluralité  des idées et des logiques des candidats », propose déjà un changement de l’axe de l’étude, à travers quelques interrogations : (i) quels rapprochement entre les projets de société et les programmes d’action des candidats à la magistrature suprême en RDC ? (ii) pourquoi cette divergence d’appartenances malgré la convergence des tendances (politiques) ?

 

Prof. Bobo B. KABUNGU,

Directeur scientifique du CRESH

Bulletin n°015 du Janvier 2024/Conseil scientifique national

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